Dans le cadre du Dispositif CLEA, Pauline, une comédienne de « La Compagnie dans l’Arbre », intervient au lycée Darcicourt face aux élèves de Première L3, Option Arts Plastiques afin de leur faire découvrir le « théâtre d’objets ».
Quelques séances pour mettre en voix des souvenirs autobiographiques. Cette expérience est à mettre en lien avec un projet d’arts plastiques dans lequel chaque élève a conçu, à l’intérieur d’une petite boite, un « Cabinet du souvenir ». Toutes ces petites vitrines et les textes s’y rapportant seront exposés au théâtre de l’Escapade à Hénin Beaumont à partir du Samedi 28 Mai 2016… date de la représentation des saynètes. Jeudi 12 Mai, Bernard SULTAN, écrivain, a assisté à une de leur répétition. Voici ce qu’il en dit…
« J’assiste à une séance menée par Pauline, comédienne de la Compagnie dans l’Arbre, au lycée Darchicourt à Hénin-Beaumont. Elle fait travailler deux groupes d’une même classe de 1ère L, option Arts Plastiques, aujourd’hui, de 13h à 17h. L’enseignante, Mme Boda, les a contactés, Simon et elle, après avoir vu la présentation de leur travail, et aussi leur spectacle, « Sacha sang et or ». Elle avait déjà engagé avec cette classe un travail sur l’autobiographie et le souvenir, en demandant aux élèves de récolter des histoires familiales auprès de leurs parents et grands-parents.
Un thème revient, d’une façon presque obsédante, la guerre et l’occupation allemande, l’après-guerre, les difficiles conditions de vie, l’amour et le bonheur malgré tout.Pauline déballe deux lourdes caisses d’objets (très) divers et les dispose sur une grande table. Le premier groupe arrive. Travail avec les objets, formes, matières, fonctions, couleurs. Se familiariser avec leur personnalité, leur polysémie. Et ce n’est pas si simple, car il s’agit déjà de décaler le regard, d’abolir le sens et l’habitude, de prendre l’objet pour ce qu’il est et ce qu’il n’est pas (privilège que partagent habituellement les gens de théâtre et les enfants).
Pauline fait choisir tour à tour à chaque groupe des objets évocateurs du lieu de l’histoire, puis d’un personnage, et leur demande de venir les présenter sur scène (c’est à dire à la table, scène modeste, mais scène tout de même, espace de jeu et de présentation, déconcertant peut-être pour certains, c’est-à-dire bousculant l’image qu’ils se font du spectacle.) C’est un jeu de devinette, puisqu’on doit reconnaître le lieu et le personnage présentés. Arrive le deuxième groupe. Mêmes thèmes dans leurs histoires, mais avec d’autres objets.
Est-ce moi qui voit des paysages du Nord dans ces objets qui ne les évoquent pourtant pas spécialement ? Ou est-ce que, comme je l’avais déjà remarqué, c’est l’Histoire même, ici, qui est un paysage ? Ou bien sont-ce les manières, les façons de parler, de bouger, de ces jeunes gens aimables et timides qui m’évoquent leur pays ?
Ce deuxième groupe commence à choisir les objets, la forme narrative, la « mise en scène » de leurs histoires, qu’ils interprètent par groupes de deux, trois ou quatre. Certaines propositions sont très convaincantes, jouant avec le statut de l’objet, les émotions successives, le niveau symbolique.
Il y a un spectacle au bout, prévu à l’Escapade, sous forme de parcours spectacle, de déambulation. Ces jeunes gens, pendant cette séance, me dis-je, ont vécu quelque chose d’indéfinissable, d’inclassable, d’important. Bien plus qu’une « répétition » en vue d’un spectacle. Qu’est-ce que j’appelle indéfinissable ? C’est le « mi-chemin ». Ni théâtre, ni travail plastique, ni écriture, ni jeu d’enfant, et tout cela à la fois. Il est capital que ça ne puisse pas entrer dans une case « définie », et donc que cela reste un mystère. Écriture d’objets ? Théâtre plastique ? Enfantillage sérieux ? Un endroit et un moment où l’on s’écarte du monde pour mieux le contempler, l’envisager. Pour parler esthétique, symbolique, émotion, évocation, Histoire et histoires. En jouant, comme entre amis. Pour certains, ces moments sont rares dans la vie. Certains n’ont jamais l’occasion de soulever le voile du réel, d’agrandir le monde, d’éprouver l’inouï de l’art.
Il est amusant de constater encore une fois que ce sont les modestes objets, c’est à dire la matérialité même, qui nous entraînent si facilement vers les chemin de l’abstraction. »
Article de BERNARD SULTAN , Ecrivain et observateur d’une séance de « Théâtre d’objets » au Lycée Darchicout- Le 12 mai 2016 , Hénin-Beaumont