Regards croisés de Sophie Djigo et Olivier Caremelle sur les moyens d’aider les migrants entre Grande-Synthe et Calais
Le jeudi 24 mars 2021, les élèves de Terminale spécialité Humanités du lycée Darchicourt ont participé à une rencontre Citéphilo avec Sophie Djigo et Olivier Caremelle. Elèves de 1ère en atelier Sciences-po, nous avons quant à nous introduit le propos des intervenants. Cette discussion nous a invité à nous questionner sur la situation de l’accueil des migrants, autrement qu’elle ne l’est régulièrement dans les médias nationaux.
Ces deux citoyens engagés ont exposé les moyens d’action différents qu’ils ont mis en œuvre pour aider les migrants sur nos côtes. La proximité avec le Royaume-Uni au niveau du détroit du Pas-de-Calais fait de ce territoire un point de passage privilégié pour tous les exilés qui tentent de rejoindre ce pays. Les expériences de nos deux invités démarrent après le démantèlement par l’Etat de la jungle de Calais en février 2016.
Olivier Caremelle a eu des responsabilités politiques locales en tant que directeur de cabinet, de 2012 à 2019, de Damien Carême, maire socialiste de Grande-Synthe. Actuellement, il est premier adjoint au maire de Lomme et adjoint de Martine Aubry à Lille. Il a écrit en 2020 Par simple humanité, l’accueil des migrants à Grande-Synthe, livre dans lequel il revient sur la création à partir de mars 2016 d’un camp humanitaire pour migrants à Grande-Synthe, sous l’impulsion de la municipalité. Il revient aussi dans cet ouvrage sur la gestion en coopération avec des associations comme MSF (Médecins Sans Frontières) pour les plus connues ou Utopia 56 jusqu’à la destruction du camp en avril 2017 suite à un gigantesque incendie.
Sophie Djigo quant à elle est philosophe. Elle enseigne en Lettres supérieures au lycée Watteau de Valenciennes. C’est en tant que simple citoyenne et philosophe de terrain qu’elle a commencé à se mobiliser et qu’elle a fondé en 2018 Migraction 59, un “collectif citoyen qui offre le gîte et le couvert le temps d’un week-end aux migrantes bloquées en transit à Calais”.
Elle est autrice de plusieurs ouvrages philosophiques dans lesquels elle défend “une philosophie de terrain”. Elle a écrit en 2016 Les migrants de Calais : enquête sur la vie en transit. Ce premier livre est une enquête sociologique et philosophique qui explore la condition de vie des migrantes, les effets concrets des politiques nationales et européennes de non-accueil, la façon dont les exilés s’y adaptent et résistent. Elle a ensuite écrit un second livre en 2019 intitulé Aux frontières de la démocratie: De Calais à Londres sur les traces des migrants.
Olivier Caremelle est lui aussi membre actif d’une association, l’ANVITA (Association Nationale des Villes et Territoires Accueillants), qui regroupe des municipalités aux valeurs revendiquées telles que l’humanisme, l’inclusion enrichissante dans la tradition historique d’accueil française. C’est donc aussi une association à vocation politique qui porte des revendications à destination de l’État.
Actualité oblige, nous leur avons demandé quelle était leur impression quant au traitement de la question migratoire dans la campagne présidentielle. Les deux interlocuteurs jugent cette question très instrumentalisée en ces périodes électorales. Tous deux indiquent que venir parler de leur engagement dans une commune dont les élus FN ont adapté la charte « Ma commune sans migrant » en conseil municipal dès en 2016 a eu son importance. Si l’un et l’autre déplorent la violence des mots utilisés à l’aube de cette présidentielle – il y a notamment eu la reprise par Valérie Pécresse du mot « karcher » – Sophie Djigo note quant à elle que cette métaphore du nettoyage est déjà bien ancrée dans la façon dont les pouvoirs publics envisagent les exilés. Ainsi, les autorités parlent de « cleaning » pour décrire les opérations visant à déloger les migrants de leurs campements en lacérant les tentes et en confisquant leurs maigres biens.
De la même façon, on s’est habitué à parler de la « jungle » pour désigner les campements des exilés les renvoyant à des figures animales note-t-elle encore. Sophie Djigo comme Olivier Caremelle expliquent comment une ébauche de société, de « ville », a pu tenter de s’organiser dans les campements auparavant tandis que les opérations policières de « nettoyage » effectuées toutes les 36h désormais empêchent toute forme de « fixation » et donc d’organisation.
Un point incontournable de ce dialogue est l’engagement. Les deux invités pallient, à leur niveau l’inaction de l’Etat. Pour eux, c’est comme si les Etats britannique et français faisaient tout pour rendre cette frontière mortelle. Ce n’est pas la mort par noyade de 31 migrants au large de Calais fin novembre dernier qui nous invite à penser le contraire. Même s’ils n’ont pas le même mode d’action, ces deux citoyens montrent qu’on peut avoir des actions concrètes pour aider : d’un côté, Olivier Caremelle confirme qu’un engagement politique local en dialogue avec les habitants est un moyen de faire des actions concrètes ; d’un autre, Sophie Djigo prouve qu’un collectif de citoyens peut lui aussi participer à son échelle à une grande cause. Là est sûrement l’un des messages qu’ils voulaient faire passer à nos classes de jeunes lycéens à qui le droit de vote n’est pas encore accordé.
Flore Verhoest – Nathan Desremaux